Co-emploi et réseaux de franchise : une page tournée

08 mars 2021 • franchise

Fréquemment, dans les litiges prud’homaux, surtout lorsque l’employeur fait l’objet d’une procédure collective, les salariés, en quête d’un débiteur solvable, invoquent, hors lien de subordination, la qualité de co-employeur de la société mère du groupe auquel appartient leur employeur afin d’obtenir la condamnation solidaire de ces deux sociétés.

Fréquemment, dans les litiges prud’homaux, surtout lorsque l’employeur fait l’objet d’une procédure collective, les salariés, en quête d’un débiteur solvable, invoquent, hors lien de subordination, la qualité de co-employeur de la société mère du groupe auquel appartient leur employeur afin d’obtenir la condamnation solidaire de ces deux sociétés.


Fréquemment, dans les litiges prud’homaux, surtout lorsque l’employeur fait l’objet d’une procédure collective, les salariés, en quête d’un débiteur solvable, invoquent, hors lien de subordination, la qualité de co-employeur de la société mère du groupe auquel appartient leur employeur afin d’obtenir la condamnation solidaire de ces deux sociétés.

En 2014, compte tenu des applications de plus en plus fréquentes de cette théorie, la Cour de cassation a, dans un arrêt MOLEX, donné une définition stricte de la qualité de co-employeur. Elle a ainsi affirmé, dans cet arrêt : « hors l’existence d’un lien de subordination, une société faisant partie d’un groupe ne peut être considérée comme un co-employeur à l’égard du personnel employé par une autre, que s’il existe entre elles, au-delà de la nécessaire coordination des activités économiques entre les sociétés appartenant à un même groupe et de l’état de domination économique que cette appartenance peut engendrer, une confusion d’intérêts, d’activités et de direction se manifestant par une immixtion dans la gestion économique et sociale de cette société. » (Cass. Civ, Chambre sociale, 2 juillet 2014, n°13-15.208) Cette appréciation restrictive de la Cour de Cassation, régulièrement réaffirmée depuis, semblait réserver la notion de co-emploi aux sociétés d’un même groupe, c’est-à-dire entre lesquelles existe un lien capitalistique. (Cass. Civ, Chambre sociale, 24 mai 2018, n°17- 15.630, n°16-18.621). Or, par un arrêt audacieux du 24 septembre 2019, la Cour d’Appel de Grenoble a fait l’application de la notion de co-emploi aux réseaux de franchise. Dans cette affaire, un ancien salarié d’une société franchisée du réseau d’atelier de réparation automobile DELKO invoquait la théorie du co-emploi pour obtenir la condamnation solidaire du franchiseur du réseau DELKO avec son employeur. Au soutien de ses demandes, il invoquait notamment le fait que sa procédure de licenciement ait été menée par le franchiseur qui avait d’ailleurs signé l’intégralité des documents relatifs au licenciement. Dans cette affaire, il était en outre établi l’existence d’une délégation de pouvoir du dirigeant de la société franchisée au profit de son franchiseur, portant sur la gestion du personnel, le pouvoir disciplinaire, le respect du droit de travail et de la réglementation en matière d’hygiène et de sécurité. Faisant application de la définition posée par l’arrêt MOLEX, la Cour d’Appel de Grenoble a retenu que cette délégation de pouvoir constituait « un élément propre à établir une confusion d’intérêts, d’activités et de direction entre les deux sociétés se manifestant par une immixtion [du franchiseur] dans la gestion économique et sociale [du franchisé] ». (Cour d’Appel de Grenoble, Chambre sociale, 24 septembre 2019, n°17/03329) Bien que cet arrêt de la Cour d'Appel de Grenoble ait été rendu dans des faits d’immixtion particulièrement singuliers, une brèche était ouverte quant à l’application du co-emploi aux réseaux de franchise. Or, dans un arrêt du 25 novembre 2020, la Cour de Cassation a apporté une nouvelle définition du co-emploi, plus restrictive, qui semble définitivement exclure l’application du co-emploi aux réseaux de franchise. La Cour de Cassation a ainsi censuré un arrêt d’appel ayant, dans un groupe de sociétés retenu une situation de co-emploi en indiquant que : « sans caractériser une immixtion permanente de la société AGC France dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière, la cour d’appel a privé sa décision de base légale. » (Cass, Civ, Chambre sociale, 25 novembre 2020, n°18-13.769) Selon les termes de cet arrêt, pour qu’une situation de co-emploi soit retenue, il faudra désormais établir une immixtion permanente d’une société dans la gestion économique et sociale de la société employeur, conduisant à la perte totale d’autonomie d’action de cette dernière. Les juges du fond devront donc rechercher de véritables indices en faveur d’une perte totale d’autonomie de la société. Cette nouvelle définition, plus étroite, devrait rassurer les groupes de sociétés mais également les réseaux de franchise puisque, nécessitant une perte totale d’autonomie du franchisé, le co-emploi ne devrait pas pouvoir leur être appliqué. En effet, si la domination du franchiseur est telle que son franchisé a perdu toute autonomie dans la gestion de sa société, c’est que la relation ne relève plus d’une relation de franchise qui se caractérise par l’indépendance du franchisé. De telles situations, totalement exceptionnelles, seraient d’ailleurs certainement plus aisément appréhendées par la notion de dirigeant de fait ou requalifiées en succursales. Article publié dans le Journal du Management juridique et réglementaire N°80  - Janvier, Février 2021